En effet, bien avant la guerre de l’été 2006 qu’il avait sciemment provoquée, avant de la regretter par la voix de son chef Hassan Nasrallah, le Hezbollah avait toujours vanté les mérites de sa puissance, dans le cadre de l’équilibre de la terreur avec l’ennemi sioniste. Durant huit rounds de « dialogue national » avec ses partenaires libanais, le Parti de Dieu avait toujours esquivé la question de son désarmement, se réfugiant derrière une « indispensable stratégie nationale de défense ». Pour évacuer une fois pour toute cette question embarrassante, quelques jours avant le neuvième round consacré à cette « stratégie de défense », le Hezbollah a provoqué unilatéralement la guerre, le 12 juillet 2006, engageant le Liban et tous les Libanais, sans les consulter, dans un conflit désastreux de 34 jours. Alors que les Libanais peinent encore à se relever, le Hezbollah se félicite d’avoir réussi à défaire l’armée israélienne, jusque-là invincible. Sur ses médias et dans ses négociations, il ne passe pas un jour sans que le Hezbollah n’évoque ses capacités dissuasives, non pas pour apeurer Israël, mais pour arracher des concessions politiques au Liban.
Selon le propre dictionnaire du Hezbollah, le Parti a atteint l’équilibre stratégique avec l’ennemi, dans le sens où il a provoqué la chute de son chef d’état-major et de son ministre de la Défense, Dan Haloutz et Amir Pérètz, poussés à la démission. Mais force est de constater que ces démissions sont régies par la loi de la démocratie, et non pas par la défaite de Tsahal. Car, à y regarder de plus près, il est aisé de s’apercevoir que la terreur s’est abattue davantage sur le Liban que sur Israël, en dépit des 4.000 missiles qui ont touché l’Etat hébreu. En langage militaire, les experts estiment que ces missiles sont conçus pour « rapporter » au moins huit morts par projectile. Israël aurait ainsi dû perdre au moins 3.200 âmes. Mais au bout de 34 jours de combats, le bilan ne dépasse pas les 150 morts, civils et militaires confondus, contre plus de 1.400 victimes libanaises, sans compter les dégâts subis par les infrastructures du pays du Cèdre (écoles, usines, hôpitaux, habitations, réseaux routiers, électriques et d’eau…).
Mais le poids politique de ces sacrifices consentis par la population par l’Etat libanais était résorbé par la formule magique du Hezbollah : « Nous avons résisté 34 jours à l’armée invincible. Nous avons provoqué la chute des dirigeants de l’ennemi sioniste. Nous avons fragilisé l’Etat sioniste… Nous attendons la chute d’Olmert pour atteindre l’extase... » La télévision « Al-Manar » diffuse régulièrement des spots de ce type, ornés de portraits des « martyrs » du Hezbollah, « ces héros qui ont infligé la défaite historique à Israël et qui ont tracé, avec leur sang, la victoire divine du Parti ». Pour couronner ce discours, le Hezbollah et tous ses médias ont misé sur la chute d’Ehud Olmert, ce 30 janvier, par KO, devant le rapport Winograd.
Ainsi, « Al-Manar », à l’instar d’autres médias libanais et arabes, ont interrompu leurs programmes pour diffuser en direct la conférence de presse du juge Winograd, au moment où la base du Parti s’apprêtait à faire usage de ses armes pour célébrer, à sa façon très civilisée, la chute du Premier ministre sioniste.
L’amertume du parti de Dieu est proportionnelle à ses attentes fortement déçues par un rapport qui ressemble à un « pétard mouillé ». Winograd a reconnu « des défaillances » lors de la guerre de l’été 2006, mais il a distribué les responsabilités aux dirigeants tant civils que militaires. Il a salué l’efficacité de l’armée de l’air, mais regretté le manque de coordination avec l’armée de terre. Il a déploré la dernière opération terrestre qui a fait 33 morts dans les rangs de l’armée, mais reconnu qu’elle était indispensable. Il a déploré l’échec de Tsahal à empêcher les tirs de missiles sur Israël, et critiqué l’absence de mesures de protection des civils. Après avoir dressé ce tableau, le juge Winograd a survolé « la menace existentielle » qui a tétanisé Israël et les israéliens durant et après l’été 2006…
S’il est permis à l’heure actuelle de conclure que Winograd n’a pas exigé la démission d’Ehud Olmert immédiatement, il est tout aussi permis de penser que son remplacement futur se fera au profit d’un faucon.
En conclusion, l’armée israélienne s’est adaptée à la nouvelle donne, après avoir testé les capacités du Hezbollah. La défense civile a construit de nouveaux abris pour protéger la population. Les troupes ont subi une nouvelle réorganisation et effectué de nombreuses manœuvres pour se roder aux nouvelles menaces… Les ingrédients semblent ainsi réunis pour craindre une nouvelle guerre qu’Israël est condamné à gagner pour redorer l’image de sa classe politique (avec une forte chance qu’elle soit menée par Olmert), pour restaurer l’invincibilité de Tsahal, pour redonner confiance à la population et pour éloigner la menace existentielle... ou tout simplement pour se venger.
La question est aujourd’hui de savoir qui de ses ennemis lui donnera l’occasion de réaliser ce rêve : le Hezbollah avec ses 20.000 missiles qu’il évoque régulièrement ? La Syrie avec sa collaboration avec les Nord-Coréens et les Iraniens dans des programmes d’armes non-conventionnelles, chimiques ou nucléaires, ou pour son soutien aux mouvements terroristes palestiniens ou libanais ? Ou l’Iran qui vient d’annoncer la poursuite de son programme nucléaire et sa détermination à l’achever ?
Dans ces équations aux multiples inconnues, la seule certitude est que la région retient son souffle, vit sur un volcan, et attend dans l’expectative le prochain round.
Chawki Freïha